De nouvelles espèces de mille-pattes découvertes en Ardèche

Païolive : un biotope remarquable au sud de l'Ardèche
Au sud de l’Ardèche, le complexe écologique de Païolive s’étend sur environ 13.000 hectares, depuis la commune de Montréal à celle de Saint-Brès.
Plus vaste que la seule forêt de Païolive, cette zone est caractérisée par sa géologie particulière et une biodiversité remarquable pour de nombreux groupes d’espèces (mousses, lichens, chauve-souris, coléoptères etc). Ses forêts de Chênes, ses garrigues et ses affleurements calcaires constituent en effet un ensemble de milieux propices à une importante biodiversité.
Cependant, même si un fort intérêt écologique est identifié sur ce complexe naturel, seule une partie de la biodiversité y est actuellement connue. Ainsi un certain nombre de groupes taxonomiques tels que les chilopodes, le nom scientifique d’une partie des mille-pattes, y sont encore largement sous-étudiés.
Afin d’améliorer l’état des connaissances de ces espèces sur le site de Païolive, une équipe de spécialistes y a conduit des recherches en 2009, puis de 2015 à 2018. Une étude riche en découvertes qui confirme d’une part l’intérêt écologique de cette zone naturelle, et qui rappelle d’autre part le manque de connaissances sur les mille-pattes.

Une étude sur les mille-pattes de Païolive et ses environs
Une étude a été menée par Etienne Iorio, expert indépendant travaillant notamment sur les myriapodes et Jean-Jacques Geoffroy qui exerce au Muséum National d’Histoire Naturelle. Ce travail a porté sur leurs propres prélèvements, amendés par les échantillons récoltés et transmis par les entomologistes (les spécialistes des insectes) Henri-Pierre Aberlenc et Justine Rollet.
Dans la pratique, ce type d’étude consiste à prospecter les différents milieux naturels présents sur la zone, et prélever les mille-pattes rencontrés. Ceux-ci sont ensuite analysés en laboratoire à l’aide de loupes et microscopes, pour être identifiés.
De nouvelles espèces découvertes
Dans le cade de ce travail, de nombreuses découvertes ont été faites. Ainsi, Cryptops hortensis (Donovan, 1810) a été recensé pour la première fois en Ardèche, et Schendyla tyrolensis (Meinert, 1870) pour la première fois en Rhône-Alpes.
Plus notable encore, Lithobius peregrinus Latzel, 1880) a été recensé, permettant de confirmer la présence de l’espèce en France métropolitaine, jusqu’à lors douteuse. Cette observation est d’autant plus intéressante que l’espèce n’était connue, de manière fiable, que dans le Caucase et le sud-est de l’Europe, jusque dans le nord-est et le sud-est de l’Italie… à quelques foulées de mille-pattes donc !
Lithobius aberlenci : nouvelle espèce pour la science
Enfin, cette étude a permis de découvrir et décrire Lithobius aberlenci. Totalement inconnue dans le monde du vivant jusque là, c’est dans le cadre de cette étude à Païolive et des secteurs voisins (Gorges de l’Ardèche) que l’équipe d’experts a pu décrire cette nouvelle espèce, qui devient le 152ème chilopode (l’un des deux grands groupes de mille-pattes, l’autre étant les diplopodes) de France métropolitaine.
Lithobius aberlenci, du nom de Pierre-Henri Aberlenc qui a collecté le premier individu, a été découvert dans une grotte du Cirque de la Madeleine à Saint-Remèze. Pour autant, cette espèce gris-fauve d’un centimètre en moyenne ne semble pas vivre exclusivement dans les grottes d’après son anatomie (coloration, yeux etc). Tout au plus, il peut s’agir d’une espèce de surface, habituée à se réfugier dans les grottes.
Une description complète de l’espèce a été faite à partir d’un holotype (l’échantillon de référence décrivant les caractéristiques de l’espèce, conservé au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris) et 7 paratypes – c’est-à-dire d’autres individus retrouvés ensuite au même endroit.
Bien qu’elle ressemble à d’autres espèces de son genre, un certain nombre de critères permettent de les en distinguer, tels que la coloration, la disposition des dents se trouvant sous la tête, ou encore la striation dorsale des segments (voir photo ci-contre).



24 espèces de mille-pattes recensées à Païolive... pour l'instant
A l’issue de ce premier travail, la zone de Païolive a confirmé son intérêt écologique en révélant au minimum 24 espèces de mille-pattes.
Si certaines sont communes, à l’instar de Geophilus flavus (voir photo ci-jointe), d’autres sont plus remarquables. C’est le cas notamment de Henia brevis (Silvestri, 1896) qui est particulièrement rare en France, ou encore de Lithobius peregrinus Latzel, 1880 qui est ici isolé des autres populations de son espèce. Le site de Païloive constitue ainsi un îlot déconnecté du reste de son aire de répartition.
Cet îlot est probablement un héritage de la dernière période glaciaire. En effet, les mille-pattes ne se déplaçant que sur de courtes distances il est probable que l’aire de répartition de Lithobius peregrinus ait été bien plus vaste auparavant mais qu’elle se trouve aujourd’hui divisée, laissant « derrière elle » cette population relictuelle.
Si à l’heure actuelle 24 espèces ont été recensées, il ne fait aucun doute que d’autres découvertes restent à faire sur cette zone. Une 25ème espèce a été mentionnée par le passé mais cette information est jugée douteuse : des recherches plus poussées pourraient permettre de confirmer sa présence. De plus, de nombreuses zones et certains micro-habitats tels que les cavités souterraines restent majoritairement inexplorées et pourraient apporter leur lot de découvertes.
D'autres probables découvertes très intéressantes
Outre ces résultats permettant déjà d’améliorer significativement la connaissance des mille-pattes de Païolive, d’autres probables découvertes restent à confirmer. En effet, les spécialistes ont pu prélever des specimens qui, dans l’état actuel des connaissances, ne semblent correspondre totalement à aucune espèce déjà connue. Leur forte ressemblance avec Lithobius pelidnus entretien le doute, mais plusieurs critères ne correspondent pas…
De la même manière, un autre spécimen a été collecté dans une grotte près de Vallon-Pont-d’Arc : aveugle, il pourrait s’agir d’une nouvelle espèce souterraine.
Problème : les specimens collectés sont soit immatures, soit dans un état insuffisant pour permettre une analyse plus poussée. Des recherches complémentaires devront donc être menées pour décrire ce que seront, peut-être, les 153ème et 154ème chilopodes de France métropolitaine !
Une biodiversité largement méconnue mais à préserver
Cette étude est représentative de la méconnaissance qui règne sur cette biodiversité cachée, notamment dans les milieux souterrains de notre région. En effet, faire tant de découvertes en France métropolitaine dans le cadre d’une unique étude n’est en réalité possible que parce que ces groupes d’espèces ont été jusque là très peu étudiés, et mobilisent très peu de spécialistes. Les auteurs de ce travail comptent parmi les seuls en France à se pencher sur ces espèces « oubliées »…
Il s’agit pourtant d’espèces particulièrement intéressantes, qui ont également leur rôle dans le fonctionnement des écosystèmes, et qui font partie intégrante de notre patrimoine naturel. Etienne Iorio nous le rappelle :
Les chilopodes sont dotés de faibles capacités de dispersion, d’exigences écologiques particulières, et d’un fort taux d’endémisme en France. Ils ne sont pas encore pris en compte dans les inventaires et ne font l’objet d’aucune protection, alors qu’ils y auraient largement leur place !
Myriapodes, chilopodes, diplopodes... expliquez-moi!
Les myriapodes sont en fait l’ensemble des mille-pattes. Mais ils sont divisés en 2 groupes distincts : les chilopodes, disposant d’une seule paire de pattes par segment, et les diplopodes, qui ont pour leur part 2 paires de pattes par segment, tels que les iules par exemple.
Ha oui, au fait ! Les mille-pattes n’ont pas vraiment mille pattes… bon nombre de chilopodes tels que les Lithobius ont en réalité 15 paires de pattes, quand certains géophiles (les longs chilopodes) peuvent en avoir une centaine de paires… Reste à calculer le nombre de géophiles à mettre les uns derrière les autres pour obtenir mille pattes !
Crédit de la photo d’en-tête de l’article : Lithobius pyrenaicus © Etienne Iorio
La publication complète de l’étude peut être demandée par mail auprès de l’animateur du pôle : pole.invertebres@gmail.com

Expert des chilopodes et entomologiste

Muséum National d'Histoire Naturelle