Apollons d’Auvergne et des Alpes : la recherche s’en mêle

L'Apollon en quelques mots
L’Apollon ou Parnassius apollo est un papillon de jour emblématique de nos montagnes. Blanc à tâches noires et rouges, il fait partie des espèces les mieux connues à la fois des spécialistes et des randonneurs qui parcourent les alpages. Pour autant, les populations d’Apollons des Alpes et de l’Auvergne ont encore bien des choses à nous apprendre !
Protégé au niveau européen, et fortement en déclin depuis quelques décennies, il est nécessaire d’avoir une connaissance approfondie de cette espèce afin de mieux la préserver. Dans les Alpes, l’espèce est encore assez abondante dans plusieurs massifs, tels que la Chartreuse, le Vercors, la Vanoise, les Ecrins etc.
Coté massif central et notamment en Auvergne, le contexte est très différent. Les populations sont particulièrement faibles, et l’espèce – en danger d’extinction selon les listes rouges UICN – pourrait connaitre des difficultés au niveau génétique…
Comme toute espèce, pour se développer dans de bonnes conditions, l’Apollon doit avoir une diversité génétique satisfaisante, notamment pour éviter les soucis liés à la consanguinité, mais aussi pour que les populations soient plus résistantes face aux perturbations de leurs écosystèmes. Mieux connaitre l’espèce pourrait ainsi apporter des solutions pour mieux la préserver !

Apollon d'Auvergne, Apollon des Alpes... deux sous-espèces distinctes ?
Un premier travail d’analyses génétiques a été conduit sur une centaine d’Apollons en 2019 par Caroline Kebaili et Laurence Despres, travaillant au sein du laboratoire d’écologie alpine de Grenoble.
Capturés au filet sur le terrain, les papillons n’ont pas été tués puisque seule une patte leur a été prélevée (le prélèvement de la patte n’a pas de conséquences sur la survie du papillon selon d’autres études). C’est l’ADN de cette patte qui a ensuite été extrait et analysé en laboratoire. Les échantillons de cette première étude proviennent d’Auvergne, de Chartreuse, des Bauges et du Vercors.
Ce travail apporte des résultats préliminaires qui, s’ils nécessitent d’être confortés, fournissent déjà des informations qui peuvent s’avérer fondamentales pour la préservation de cette espèce.

La première de ces informations, c’est qu’il n’existe au sein des Alpes qu’un seul et unique Apollon, ou de manière plus imagée, un « lot de gènes » homogène. Plutôt inattendu, ce premier résultat (à conforter) nous indique que les Apollons des Bauges ou de la Chartreuse ne diffèrent pas génétiquement des Apollons du Vercors par exemple. Ces résultats confirment ainsi l’absence de sous-espèces au sein même des Alpes, historiquement évoquées dans la littérature scientifique.
Le deuxième résultat, tout aussi intéressant, nous apprend qu’à l’inverse les populations d’Auvergne sont génétiquement bien distinctes de celles des Alpes. La différence génétique actuellement observée est telle qu’elle pourrait justifier de classer les deux entités dans des sous-espèces différentes. Des analyses complémentaires permettraient de savoir si les Apollons du massif central sont génétiquement distincts des Apollons des Pyrénées ou non. L’étude souligne également que la diversité génétique de l’Apollon en Auvergne est particulièrement faible.
Quelles incidences sur la préservation de l'espèce ?
Le fait de posséder une seule ou plusieurs entités génétiques distinctes en Auvergne-Rhône-Alpes peut avoir des incidences pour la préservation de l’espèce. En effet, les niveaux de menaces définis régionalement pourraient être mieux définis pour chacune des deux sous-espèces, le bon état relatif de l’Apollon dans les Alpes masquant actuellement la situation plus critique de l’Apollon d’Auvergne. Cela peut ainsi orienter différemment les travaux de gestion des espaces naturels, ou la priorité donnée à la sauvegarde de l’espèce dans le massif central. De même, les deux sous-espèces ne sont pas forcément sensibles précisément aux mêmes menaces, et ont potentiellement développé une résistance plus forte à un facteur donné.
Une seconde incidence, toute aussi notable, est qu’il ne devient plus pertinent de réintroduire des Apollons alpins pour renforcer les populations d’Auvergne, au risque de réintroduire des gènes qui ne sont pas compatibles, ou pas adaptés aux populations locales. Savoir si l’Apollon d’Auvergne est distinct ou non des populations pyrénéennes devient alors d’autant plus intéressant !


A l’inverse, l’absence de différences génétiques entre les Apollons des différents massifs alpins ouvre la porte à de tels déplacements ou renforcements de populations en cas de nécessité. Ce type de procédé, rarement effectué chez les insectes, peut s’avérer nécessaire pour préserver des populations qui atteindraient un seuil trop faible en conservant une diversité génétique satisfaisante à l’échelle d’un site, ou d’un massif.
La génétique permet d'aller beaucoup plus loin !
Ces analyses permettent d’aller largement plus loin que la simple distinction de plusieurs groupes génétiques. En effet, elles permettent également d’identifier le déplacement des gènes au sein des populations et entre celles-ci. En recoupant ces flux avec les caractéristiques des milieux (altitudes, écosystèmes présents, expositions au vent et au soleil, nivologie etc), il est possible d’identifier les conditions de vie les plus favorable à la reproduction et au déplacement de l’Apollon.
Un important travail d’analyse a ainsi permis d’identifier plusieurs pistes, en estimant l’effet positif des lisières de forêts de conifères et des landes arbustives pour la dispersion des Apollons, et en remarquant que la topologie semble finalement peu impactante sur la dispersion.
Ces analyses permettent également de retracer l’histoire des populations d’Apollon, en déterminant les périodes où les populations se sont génétiquement trouvées séparées, et en identifiant les déclins ou expansions des populations au cours de l’histoire. Ces premiers résultats laissent par exemple penser à un déclin important et continu en Auvergne depuis plus de 3000 ans qui s’accentue continuellement, tandis que les populations des 3 massifs alpins étudiées ont connu un déclin plus récent, il y a quelques centaines d’années. Seule la population des Bauges semble connaître une expansion dans les dernières décennies.
Un long travail de recherche en perspective sous réserve de financements
Suite à ce travail préliminaire, le laboratoire d’écologie alpine pourrait conduire un travail bien plus vaste et complet, dans le cadre d’une thèse de 3 ans.
Ces 3 ans de recherches supplémentaires permettraient notamment de confirmer la présence de sous-espèces distinctes entre l’Auvergne et les Alpes, et de vérifier si les Apollons d’Auvergne sont génétiquement différents des Apollons pyrénéens. De telles analyses pourraient également confirmer l’homogénéité des populations alpines, plus largement qu’à l’échelle de l’arc alpin français actuellement étudié

De plus, ce travail approfondi permettrait de modéliser les paysages de manière complexe, afin d’identifier les conditions les plus bénéfiques au développement et au déplacement des apollons, et de mieux connaitre l’utilisation qu’ils font des différents milieux, dans le but final de mieux préserver l’espèce. En découlerait alors un ensemble de préconisations pour mieux intégrer l’espèce à notre manière d’utiliser et gérer ses habitats naturels.
Naturellement, ce travail de recherche est conditionné par l’obtention de financements. Le Laboratoire d’Ecologie Alpine est ainsi en train de rechercher les fonds nécessaires.
© Photos : Grégory Guicherd & Yann Baillet, Flavia APE